L’enterrement de voltaire : une cérémonie révolutionnaire pour son époque

Le 30 mai 1778, François-Marie Arouet, dit Voltaire, s'éteint à Paris à l'âge de 83 ans. La disparition de ce géant des Lumières marque la fin d'une époque, mais son enterrement va ouvrir un nouveau chapitre dans l'histoire des funérailles en France. Entre polémiques, innovations et symbolisme, la cérémonie funèbre de Voltaire va révolutionner les pratiques de son temps et poser les jalons d'une nouvelle ère. Cet événement, à la fois intime et public, va cristalliser les tensions entre l'Église et les philosophes, tout en préfigurant les bouleversements politiques à venir. Plongeons dans cette page d'histoire qui a façonné la mémoire collective et influencé durablement les rites funéraires en France.

Contexte historique de la mort de Voltaire en 1778

En 1778, la France de Louis XVI est en pleine effervescence intellectuelle. Les idées des Lumières se répandent dans les salons et les cafés, remettant en question l'ordre établi. Voltaire, figure de proue de ce mouvement, jouit d'une renommée internationale. Son retour triomphal à Paris, quelques mois avant sa mort, témoigne de son statut d'icône. Cependant, son anticléricalisme notoire et ses critiques acerbes envers l'Église catholique lui ont valu de puissants ennemis.

La mort de Voltaire survient dans un climat de tension entre les philosophes et le pouvoir royal, allié traditionnel de l'Église. Le philosophe, conscient des enjeux entourant sa fin de vie, avait pris soin de rédiger une profession de foi catholique pour s'assurer une sépulture chrétienne. Malgré cette précaution, son décès va déclencher une véritable bataille idéologique autour de ses funérailles.

Préparatifs et polémiques autour de l'inhumation

Refus de sépulture ecclésiastique par l'église catholique

Dès l'annonce de la mort de Voltaire, l'Église catholique adopte une position ferme. Malgré la profession de foi du défunt, le clergé parisien, sous l'influence de l'archevêque Christophe de Beaumont, refuse catégoriquement d'accorder une sépulture ecclésiastique à celui qu'il considère comme un hérétique notoire. Cette décision, sans précédent pour une personnalité de cette envergure, provoque un tollé dans les cercles intellectuels et libéraux de la capitale.

Le refus de l'Église s'appuie sur les écrits anticléricaux de Voltaire et son influence jugée néfaste sur la société. Pour les autorités ecclésiastiques, accorder une sépulture chrétienne à Voltaire serait cautionner ses idées et affaiblir l'autorité morale de l'Église. Cette position intransigeante va catalyser les efforts des proches du philosophe pour lui offrir des funérailles dignes de son rang et de son influence.

Intervention de la famille et des amis de Voltaire

Face à ce refus, la famille et les amis de Voltaire se mobilisent rapidement. Son neveu, l'abbé Mignot, joue un rôle crucial dans l'organisation des funérailles. Profitant de sa position d'abbé commendataire de l'abbaye de Sellières en Champagne, il propose d'y inhumer son oncle, loin des regards inquisiteurs de Paris. Cette solution permet de contourner l'interdiction parisienne tout en offrant à Voltaire une sépulture chrétienne.

Parallèlement, le marquis de Villette, chez qui Voltaire est décédé, orchestre une véritable opération de relations publiques. Il fait embaumer le corps du philosophe et organise une exposition publique, attirant une foule de visiteurs venus rendre un dernier hommage à l'illustre défunt. Cette mise en scène participe à la transformation des funérailles de Voltaire en un véritable événement national .

Débat sur le lieu d'inhumation : Paris vs Ferney

La question du lieu d'inhumation de Voltaire soulève un débat passionné. Certains, comme son secrétaire Wagnière, plaident pour un enterrement à Ferney, où est enterré Voltaire aujourd'hui. Ils arguent que le philosophe avait exprimé le souhait d'y reposer, au cœur du domaine qu'il avait façonné et où il avait passé les vingt dernières années de sa vie. Cette option présente l'avantage d'éviter les complications liées à une inhumation à Paris, tout en respectant la volonté présumée du défunt.

D'autres, en revanche, insistent pour que Voltaire soit enterré à Paris, capitale des Lumières et théâtre de ses plus grands succès. Ils estiment que la présence de sa sépulture dans la ville serait un symbole fort et un lieu de pèlerinage pour ses admirateurs. Ce débat reflète les tensions entre la dimension privée et publique de la figure de Voltaire, entre l'homme et le symbole qu'il était devenu.

Rôle du marquis de villette dans l'organisation

Le marquis de Villette, ami et admirateur de Voltaire, joue un rôle central dans l'organisation des funérailles. Propriétaire de l'hôtel parisien où le philosophe a rendu son dernier souffle, il transforme sa demeure en véritable chapelle ardente . Il fait réaliser un masque mortuaire de Voltaire et expose son corps embaumé, attirant une foule impressionnante de visiteurs.

Villette orchestre également une campagne médiatique avant l'heure, diffusant des récits élogieux des derniers instants de Voltaire et soulignant sa piété. Cette stratégie vise à contrer les accusations d'impiété et à légitimer une sépulture chrétienne. Le marquis devient ainsi le gardien de la mémoire de Voltaire, rôle qu'il continuera à jouer bien après les funérailles.

Déroulement de la cérémonie funéraire

Cortège nocturne vers l'abbaye de Sellières

Dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1778, un cortège funèbre quitte discrètement Paris pour l'abbaye de Sellières. Le corps de Voltaire, revêtu d'une robe de chambre et coiffé d'une perruque, est installé dans un carrosse. Cette mise en scène macabre vise à donner l'illusion que le philosophe est encore vivant, afin d'éviter toute interception par les autorités ecclésiastiques.

Le voyage nocturne, qui dure près de 24 heures, prend des allures de course contre la montre . L'objectif est d'atteindre l'abbaye avant que l'évêque de Troyes, dont dépend Sellières, ne puisse s'opposer à l'inhumation. Cette précipitation et ce secret contrastent avec la pompe habituelle des funérailles des grands hommes, mais reflètent les circonstances exceptionnelles entourant la mort de Voltaire.

Participation des philosophes des lumières

Bien que la cérémonie à Sellières soit relativement modeste, elle ne manque pas de symbolisme. Plusieurs figures emblématiques des Lumières font le déplacement pour rendre un dernier hommage à leur mentor. Parmi eux, on compte D'Alembert, Condorcet et Diderot, qui voient dans ces funérailles l'occasion d'affirmer la solidarité du mouvement philosophique.

Leur présence confère à la cérémonie une dimension intellectuelle et politique. Chacun de ces penseurs apporte sa contribution, que ce soit sous forme de discours, d'éloges funèbres ou simplement par leur présence silencieuse. Cette communion d'esprits autour de la dépouille de Voltaire marque symboliquement la continuité de son combat pour la raison et la liberté de pensée.

Discours et hommages rendus à Voltaire

Malgré les contraintes imposées par le caractère improvisé de la cérémonie, plusieurs hommages sont rendus à Voltaire. L'abbé Mignot prononce une oraison funèbre, louant les qualités humaines et intellectuelles de son oncle. Ce discours, savamment équilibré entre respect des conventions religieuses et célébration de l'œuvre de Voltaire, témoigne du funambulisme rhétorique nécessaire en ces circonstances.

D'autres participants, comme Condorcet, saisissent l'occasion pour souligner l'héritage philosophique de Voltaire. Ces interventions, bien que discrètes, posent les jalons du culte voltairien qui se développera dans les années suivantes.

Symbolisme des éléments de la cérémonie

Chaque aspect de la cérémonie est chargé de symbolisme. Le choix même de l'abbaye de Sellières, lieu consacré mais éloigné de Paris, illustre le compromis trouvé entre respect des convenances religieuses et affirmation de l'indépendance intellectuelle de Voltaire. La simplicité de la cérémonie contraste avec la grandeur de l'homme qu'elle honore, créant un paradoxe éloquent.

Le cœur de Voltaire, prélevé lors de l'embaumement, devient un objet de vénération. Conservé par le marquis de Villette, il symbolise la pérennité de la pensée du philosophe au-delà de sa disparition physique. Cette pratique, courante pour les grands personnages, prend ici une dimension particulière, préfigurant le culte laïc qui se développera autour de la figure de Voltaire.

Impact sociopolitique de l'enterrement de voltaire

Réactions de la cour de Louis XVI

La cour de Louis XVI observe avec une certaine appréhension les événements entourant l'enterrement de Voltaire. Le roi lui-même, bien qu'ayant entretenu des relations ambiguës avec le philosophe, se garde de toute déclaration publique. Cette réserve traduit l'embarras du pouvoir royal face à une figure aussi controversée que populaire.

Certains courtisans, plus conservateurs, expriment leur désapprobation face à ce qu'ils perçoivent comme une glorification d'un ennemi de l'Église et de la monarchie. D'autres, plus libéraux, voient dans ces funérailles le symbole d'une évolution nécessaire de la société française. Cette division au sein même de la cour reflète les tensions qui traversent la France pré-révolutionnaire.

Échos dans les salons parisiens et européens

Les salons parisiens et européens s'enflamment à la nouvelle de la mort et de l'enterrement rocambolesque de Voltaire. Les discussions passionnées qui s'y tiennent témoignent de l'impact considérable du philosophe sur la société de son temps. Dans ces cercles intellectuels, on débat de la légitimité du refus de sépulture par l'Église, de l'héritage philosophique de Voltaire et des implications politiques de sa disparition.

Ces débats dépassent rapidement les frontières françaises. Dans les cours et les salons de toute l'Europe, de Londres à Saint-Pétersbourg, la mort de Voltaire est perçue comme un événement majeur. Les correspondances s'intensifient , les gazettes multiplient les articles, faisant de ces funérailles un sujet de conversation international.

Influence sur le mouvement anticlérical

L'enterrement de Voltaire et les polémiques qui l'entourent donnent un nouvel élan au mouvement anticlérical en France. Le refus de sépulture ecclésiastique est perçu par beaucoup comme la preuve de l'intolérance et de l'archaïsme de l'Église. Cette affaire cristallise les critiques contre le pouvoir religieux et alimente les revendications en faveur d'une séparation plus nette entre l'Église et l'État.

Les philosophes et les libéraux s'emparent de l'événement pour dénoncer l'emprise de l'Église sur la société. Ils arguent que même un homme de la stature de Voltaire n'est pas à l'abri des persécutions cléricales. Cette rhétorique contribue à radicaliser les positions et à préparer le terrain pour les réformes révolutionnaires à venir.

Héritage et postérité de la cérémonie

Transfert des cendres au panthéon en 1791

L'épilogue de l'enterrement de Voltaire survient treize ans plus tard, en pleine Révolution française. Le 11 juillet 1791, ses cendres sont transférées en grande pompe au Panthéon, nouveau temple laïc dédié aux grands hommes de la nation. Cette cérémonie grandiose, orchestrée par l'Assemblée nationale, marque l'apothéose de Voltaire et sa consécration comme père fondateur de la nouvelle France révolutionnaire.

Le cortège qui traverse Paris attire une foule immense. Le char funèbre, orné de symboles philosophiques et révolutionnaires, est escorté par des délégations de toutes les nouvelles institutions. Ce transfert au Panthéon représente une revanche posthume sur l'Église qui avait refusé une sépulture à Voltaire. Il symbolise également le triomphe des idées des Lumières et leur incorporation dans le nouveau récit national.

Évolution du culte de voltaire post-révolution

Après la Révolution, le culte de Voltaire connaît des fortunes diverses. Sous l'Empire et la Restauration, sa mémoire est parfois contestée, mais jamais effacée. Au XIXe siècle, il redevient une figure tutélaire pour les républicains et les libéraux. Son tombeau au Panthéon devient un lieu de pèlerinage laïc, symbole de la lutte pour la liberté de pensée et contre l'obscurantisme.

L'héritage de Voltaire continue de façonner le paysage intellectuel et politique français. Son nom reste associé à la défense de la liberté d'expression et à la lutte contre l'intolérance. Les débats autour de sa figure, de son œuvre et de son impact sur la société française perdurent, témoignant de la vivacité de son héritage.

Comparaison avec d'autres funérailles de figures des lumières

L'enterrement de Voltaire se distingue nettement de ceux d'autres figures majeures des Lumières. Contrairement à Montesquieu, inhumé sans controverse en 1755, ou à Rousseau, dont les funérailles en 1778 furent relativement discrètes, les obsèques de Voltaire prirent une dimension politique et symbolique sans précédent.

La cérémonie funèbre de Diderot en 1784, bien que marquée par le respect et l'admiration de ses pairs, n'atteignit pas l'ampleur nationale de celle de Voltaire. Cette différence souligne le statut unique de Voltaire, à la fois adulé et controversé, qui transcendait le cercle des intellectuels pour toucher l'ensemble de la société française.

Les funérailles de Voltaire ont ainsi ouvert la voie à une nouvelle conception des hommages publics aux grands hommes. Elles préfigurent les cérémonies révolutionnaires et posent les bases d'un culte laïc des figures nationales qui trouvera son apogée avec la création du Panthéon.

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